Tests génétiques récréatifs et racisme

Écrit par : Alexandre Magot
Publication initiale : 15 octobre 2021

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Le chapitre de première spécialité SVT traitant de l’« Histoire humaine lue dans son génome » peut être – et est pour un certain nombre de collègues – l’occasion de parler des tests génétiques récréatifs. Ces analyses proposées aujourd’hui par différentes entreprises privées permettent en effet de révéler, dans une certaine mesure, certains éléments de l’histoire familiale, et peuvent donc répondre à certains des attendus du chapitre.

Dans ce cadre, une vidéo publicitaire fait partie des ressources très couramment utilisées : https://www.youtube.com/watch?v=GgK_DCbRxLM

Indépendamment des nombreux problèmes éthiques posés par ces tests – que nous ne développerons pas ici – et de la fiabilité relative des résultats tels que proposés, ils permettent (et cette vidéo tout particulièrement) d’examiner notre rapport à l’altérité et de discuter des mécaniques racistes.

1 – Principe des tests génétiques

Les tests en question, pour en décrire très succinctement le principe de fonctionnement, reposent sur le fait de séquencer certaines régions hypervariables de l’ADN. Ces séquences, non codantes (c’est-à-dire non associées à des caractères particuliers), acquièrent de nombreuses mutations au fil du temps (c’est-à-dire d’infimes modifications qui se fixent et se transmettent à la descendance). Ainsi, de générations en générations, elles ont fini par présenter une très grande diversité de formes au sein de l’humanité. Logiquement, les séquences des individus partageant des ancêtres communs récents présenteront davantage de similitudes que celles de personnes éloignées. À condition de faire abstraction des principales migrations (ou plutôt de les prendre rigoureusement en compte), on peut globalement dire que la proximité génétique est reliée à une proximité géographique. C’est cette relation qui permet, à partir d’une analyse d’ADN, d’extrapoler les résultats en termes d’origine géographique.

En effet, les séquences d’ADN de la personne qui fait le test vont être comparées à celles de « populations de référence » constituées dans diverses régions du monde. Plus votre ADN sera similaire à celle d’un groupe de référence, plus grande sera la probabilité que vous descendiez de personnes issues de cette région.

2- Fiabilité des résultats

Globalement, les résultats de ces tests peuvent être considérés comme fiables, mais à condition de les considérer comme ce qu’ils sont : évidemment approximatifs (du fait notamment du nombre restreint de populations de référence et des méthodes utilisées pour les constituer) et parcellaires (nous ne transmettons que la moitié de notre patrimoine génétique à chaque génération, c’est-à-dire que la moitié n’est pas transmise et disparait). Ils le sont, par ailleurs, surtout si l’on se réfère à des zones géographiques larges et non aux frontières actuelles (être « français » ou « espagnol » génétiquement n’a pas grand sens, dans la mesure où une personne originaire de Perpignan sera évidemment plus proche génétiquement d’une personne originaire de Barcelone que de Lille).

Ce sont donc des données indicatives mais qui sont relativement fiables. Ce sont d’ailleurs des méthodes tout à fait similaires qui sont employées en anthropologie génétique, mais avec une différence, et pas des moindres concernant les implications : en anthropologie génétique, il s’agit de reconstituer des trajectoires collectives (à l’échelle de populations), et non individuelles.

3- Test génétique et essentialisme

Et c’est précisément sur ce que l’on fait dire à ces tests d’un point de vue individuel que porte un des problèmes majeurs. Le clip publicitaire en est une éloquente démonstration.

Dans cette vidéo, les résultats des tests génétiques semblent en effet révéler quelque chose de fondamental, d’essentiel, de spécifique aux personnes à qui on les présente. On se situe là dans une vision totalement empreinte d’essentialisme : les populations humaines seraient ainsi intrinsèquement, biologiquement, fondamentalement différentes.

Il ne s’agit pas bien sûr de nier le fait que des différences biologiques puissent exister au sein de l’humanité, ni même que des populations humaines puissent être identifiées sur la base de critères génétiques, mais bien de discuter l’interprétation qui est ici faite de ces différences, ce qu’on semble leur faire dire. Car au vu de cette vidéo, il semble qu’être porteurs de 10 % « d’ADN pakistanais », ou de 3 % « d’ADN irlandais » (avec toutes les réserves qu’on peut émettre au sujet de résultats présentés sous forme d’une aire géographique aussi précise et en ayant recours aux frontières actuelles, et en rappelant par ailleurs que ces tests sont réalisés sur des fractions non codantes de l’ADN) non seulement permettrait de tirer des conclusions quant à l’histoire des migrations familiales (comme un prolongement à petite échelle des travaux de Cavalli Sforza), mais révèlerait du même coup des caractéristiques propres partagées par les personnes porteuses. Cela témoignerait de quelque chose de si particulier que cela semble générer immédiatement un sentiment d’appartenance, de connexion. Ces personnes se sentent d’un coup « un peu pakistanaises », « un peu irlandaises », alors même qu’elles n’ont pas reçu la moindre bribe de culture pakistanaise ni irlandaise. Finalement, cet « ADN pakistanais » diffuserait en soi une sorte d’« essence pakistanaise », déterminant d’un même coup semble-t-il non seulement d’où vous venez, mais aussi qui vous êtes.

Or cette conception essentialiste selon laquelle nous serions bien différent·es par nature, n’a rien d’anodin : c’est précisément la logique qui fonde le concept de races biologiques et qui a permis de légitimer le racisme pendant des siècles.

4- L’ADN, le sang du XXIe siècle ?

Finalement, l’essentialisation faite de ces quelques pourcents d’ADN géographiquement situés rappelle dans une certaine mesure la notion de « sang » telle qu’elle a perduré pendant longtemps, servant de base légale en de nombreux endroits.
Posséder de « l’ADN pakistanais » serait ainsi la version contemporaine d’« avoir du sang pakistanais ». Or rappelons que c’est sur ce concept qu’ont été bâtis plusieurs systèmes ségrégationnistes.
On peut ainsi citer la « one-drop rule » américaine (la règle de l’unique goutte de sang), selon laquelle toute personne ayant une parenté identifiée comme africaine, aussi isolée soit-elle dans l’arbre généalogique, se voyait assigner la catégorie sociale des noir·es, et subir dès lors les discriminations associées. On peut penser également à l’Arierparagraph (« paragraphe aryen ») promulgué en Allemagne en 1933, et le décret Lösener en 1935, qui déterminaient qui était aryen·ne, qui était juif·ve, et qui ne l’était pas.

De la même manière, à partir du XVe siècle dans la péninsule ibérique (Espagne et Portugal) avait cours le concept de « limpieza de sangre » (en espagnol) ou « limpeza de sangue » (en portugais) : la « pureté de sang ». L’accès à de nombreuses institutions requérait alors la présentation d’un document établi par étude généalogique, qui devait certifier de l’absence de toute ascendance juive ou musulmane.

Il est d’ailleurs paradoxal qu’une personne dans la vidéo dise que ces résultats vont à l’encontre de la notion de « pureté de la race », quand justement ils donnent des résultats chiffrés en pourcentage d’un ADN associé à une nationalité qui pourraient précisément être utilisés dans ce sens (particulièrement dans un contexte où se généralise le concept d’extrême-droite de « Français·e de souche », et que les personnes racisées sont systématiquement ramenées à leurs origines, quand bien même celles-ci remontent à 2 ou 3 générations).

5- Racistes, les tests génétiques récréatifs ?

Bien sûr, il ne s’agit pas de dire que ces tests sont en soi racistes, dans l’acception courante du terme, ni que les personnes qui on recourt à ces tests sont racistes. Mais il convient d’interroger ce que ces tests, ou plutôt les interprétations que l’on tire de leurs résultats, traduisent de notre conception de l’altérité au sein de l’humanité.

Le racisme est en effet souvent perçu comme ne relevant que d’un seul rapport interpersonnel. Il s’agirait d’une haine dirigée contre certains groupes de population (les « noir·es », les « Arabes », les « Asiatiques », etc.), considérés comme « inférieurs ». Si ce versant du racisme, générant des violences explicites, est bien réel, il n’en constitue qu’une dimension finalement minoritaire, la partie émergée de l’iceberg. Le racisme est un système de domination qui couvre un champ bien plus vaste, fruit d’une histoire issue de la colonisation, et d’un conditionnement à tous les étages de la société. La plupart des formes du racisme sont donc invisibles (d’autant plus qu’on n’en est pas victime), inconscientes, ou tout simplement niées. Du racisme est donc reproduit y compris par des personnes ne se considérant comme aucunement racistes, voire comme antiracistes (on peut penser par exemple aux représentations stéréotypées des ressources pédagogiques, par exemple).

Si l’on veut lutter contre le racisme, il est primordial que de s’interroger sur celui qui nous colonise, celui dont nous sommes empreint·es. En l’occurrence, ce léger frisson à l’idée d’avoir une origine généalogique située dans un « ailleurs » exotisé, cette idée que, fondamentalement, ces pourcentages disent quelque chose de nous, s’inscrit bel et bien dans un continuum raciste. Un racisme qui peut sembler anodin, inoffensif, voire « positif », mais qui mène directement à l’exotisation et la féchitisation des personnes racisées. Elles participent à construire une représentation du monde dans laquelle les « un·es » sont fondamentalement différent·es des « autres ».

 

La lutte contre les discriminations et le racisme en particulier nécessite de nous attaquer à la manière dont se construit l’altérité au sein de la société. C’est-à-dire de déconstruire en en révélant les ficelles tout ce qui participe à séparer de mille et une manière plus ou moins visibles les « un·es » des « autres ». Il s’agit de s’attaquer à la création artificielle de l’altérité plutôt que d’appeler au respect de la « différence », qu’on qualifiera alors de « diversité ».

L’étude de ces tests, et de ce spot publicitaire en particulier, peut nous donner une magnifique occasion d’amener les élèves, dans le cadre d’une séance de pédagogie critique, à prendre conscience des dimensions les moins explicites du racisme et de la manière dont nous les avons intériorisées.

Cette séance pourra dès lors s’inscrire dans une pédagogie critique de la technique, car si les techniques sont ce qu’on en fait, elles sont également le fruit d’une société à un moment donné et dans un contexte particulier. Il est donc indispensable pour en maîtriser l’usage, de prendre conscience des biais qui ont pu accompagner leur développement et des écueils auxquels elles pourraient conduire.