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Grossophobie, profs de sport et galères

Écrit par : Anonyme
Publication initiale :
09 novembre 2020


Sur ce site sur le même thème :

– Alexandre Magot, Grossophobie et normes de poids dans les enseignements de SVT
– Ségolène Roy, Présentation du livre « Gros » n’est pas un gros mot. Chronique d’une discrimination ordinaire, de Daria Marx et Eva Perez-Bello 
– Activité (niveau collège) : En finir avec la grossophobie  


Je vais essayer d’écrire ce témoignage sans genrer, parce qu’après tout, ces mésaventures peuvent survenir dans la vie de toutes et tous, quel que soit leur genre, ou en l'absence de genre.

J’ai pris du poids, la faute à la médecine. Cortisone à très haute dose, au cours de ma scolarité et à plusieurs reprises. Il paraît que j’avais de l'asthme. En fait, spoiler alert [alerte : révélation], non. Je ne me suis rendu compte de rien, mais, au bout d’un certain nombre de mois de scolarité, mon surnom, de « nègre·sse » est passé à « le/la gros·se ». Curieux.
J’étais alors en 6e la première fois que j’ai eu ce traitement, si je ne m’abuse.
Le médecin traitant ne m’avait pas prévenu·e des effets secondaires du traitement, et il était resté discret quant à une éventuelle prise de poids et à un attrait augmenté pour les choses sucrées, moi qui ne les aimais pas tant que cela…
Bref, du « le/la gros·se » par-ci, par là… Cela n’arrêtait pas. Les récréations étaient de véritables moments de terreur, les heures de cours aussi, puisque les interventions en cours de « le/la gros·se » n’étaient pas les bienvenues et les petit·es camarades ne se privaient pas pour le faire savoir.
Je me faisais taper aussi, à la sortie, iels s’y mettaient à plusieurs, et une fois, j’ai failli y laisser vêtements et cheveux, vu comment iels me tiraient sur la tête, me griffaient et me cognaient, sans qu’aucun·e adulte n’intervienne…

Bref, dans tout cela, la plupart des professeur·es restaient silencieux·ses, n’intervenaient pas en ma faveur, à quelques rares exceptions.
Un·e prof de sciences me laissait rester dans la salle de cours, pour m’éviter (un peu plus) de problèmes. Un·e adorable prof d’anglais m’avait trouvé une solution pour que je sorte de l’établissement plus discrètement le midi, afin d'éviter les massacres habituels. Iel au moins, en cours, remettait les pendules à l'heure.

Aucun·e prof ne m’a jamais demandé pourquoi j’avais pris du poids. Ceci dit, même moi, au début, je ne comprenais pas.
Le pire dans cette histoire, c’est que je n’avais pas le physique pour des kilos superfétatoires : moins d’un mètre soixante, le moindre kilo en plus se voyait, et les pertes de poids sont nettement moins perceptibles… Surtout que je me cachais bien derrière mes vêtements.

Je crois que les pires réactions cependant ont été celles des profs de sport au collège.
J’ai été dispensé·e de ces cours, à certains moments.
Toutefois, je n’ai jamais ressenti la haine et le mépris mieux que dans les yeux et les paroles de ces profs de sport. Ces dernièr·es inspiraient bien évidemment mes petit·es camarades dans leurs camouflets divers et variés.

J’allais, selon un·e certain·e prof, voir mes jambes se transformer en poteaux… Un·e autre m’a OBLIGÉ·E à passer une épreuve de GRS [gymnastique rythmique et sportive] alors que je n’avais pas pu faire l’entraînement à cause d’une déchirure du quadriceps. Cette déchirure du quadriceps était d’ailleurs de son fait : iel m’avait demandé de sortir dehors sans échauffement pour aller courir, il y avait une grosse différence de température entre la salle et dehors et j’ai fait un faux mouvement. Iel a longtemps hésité avant de m’envoyer à l'infirmerie, pensant certainement que tous les gros·ses sont des menteur·euses né·es, et qu’iels apprennent dans une école spéciale gros·ses à feindre tous les maux leur permettant d'échapper aux rigueurs du sport.
Ma/mon médecin était effaré·e.
La/La prof prétendait me mettre un zéro si je ne passais pas l’épreuve de GRS, « la note compte pour le brevet et un zéro est éliminatoire » et iel s’est fait plaisir en me mettant une note minable et en écrivant tout le mal qu’iel pensait de moi sur mon bulletin scolaire. La seule tache sur ledit papier.

Cellui des « jambes en poteaux » m’avait fait faire le tour du terrain de basket à l’extérieur, alors que j’avais mal partout (la cortisone agissant sur tout le corps…) en courant, parce que j’avais mal exécuté une figure… Je ne sais plus si c’était monter sur un cheval d’arceau ou attraper une barre parallèle… Et c’est la/la CPE qui m’a sorti·e de ce mauvais pas, iel me voyait pleurer en courant, et comme j’étais plutôt bon·ne élève malgré tout, iel ne comprenait pas trop ce que je fichais là, puni·e comme la/le dernièr·e de la classe.

(J’oublie très certainement un grand nombre d’injures, de quolibets, de situations grotesques auxquelles j’ai été confronté·e pendant cette période, d’injustices, aussi, mais je concentre délibérément ce témoignage sur ces deux « adorables » profs de sport.)

Puis arrivèrent donc, les vacances scolaires entre la 3e et la classe de seconde. Mon traitement à la cortisone avait été arrêté pourtant depuis la 4e, mais les noms d’oiseaux continuaient à voler malgré une chute de mon poids assez marquée (du moins de mon point de vue… et de celui de mes vêtements).

Pendant les colonies de vacances entre la 3e et la seconde, j’ai eu la chance de pratiquer du sport, en confiance : escalade, marche sportive, randonnée, et j'en passe. Sans les quolibets habituels.
J’avais même participé, sans honte de mon corps, à un défilé de mode mixte, dont passage en maillot de bain. Chose inimaginable auparavant.
J’arrive à l’entrée en seconde, avec une motivation au taquet quand il s’est agi de choisir les options supplémentaires en sport.
Au programme normal, pour tous et toutes, les fameuses épreuves du cross, du basket-ball, de l’athlétisme en salle…
Ce jour-là, et les jours, semaines, mois, qui ont suivi, j’ai à peu près tout essayé, de ce qui se trouvait dans le gymnase : les sauts, les barres parallèles, les barres de sol, les cordes à grimper, les espaliers… Beaucoup d’amusement. Je me souviens qu’un·e prof de sport s’étonnait que je découvre tout cela aussi tardivement. Je lui ai glissé quelques mots sur mes aventures scolaires précédentes, sans rentrer dans les détails les plus sordides toutefois. Si je lui avais tout dit, qui sait si iel n’aurait pas un peu revu mes ambitions pour la classe de seconde à la baisse ?
Je me suis inscrit·e pour l’haltérophilie, la boxe française, etc., entraînant avec moi des copains/copines.

La préparation du cross ne fut pas simple. Lors des premières courses, je me suis retrouvé·e bleu·e et rouge, haletant·e, tant mon corps n'était pas habitué à de tels traitements, mais je m’en fichais, j'avais récupéré cette confiance, et les profs de sport étaient plutôt sympas, notant mes efforts.
J’ai même fait un malaise… manque de magnésium !
J’ai fait peur à tout le monde, moi compris·e, mais cela n’a pas affecté ma motivation pour autant, ce n’était rien de grave.

En réalité, je m’entraînais très dur, je courais, dans mon patelin, essuyant au passage les critiques de celleux qui étaient sur mon chemin et qui me sifflaient tout en me traitant de gros·se.
J’allais aussi à la piscine, je circulais à vélo, je faisais mes muscles en haltérophilie et en boxe française. Bref je voulais faire les choses bien. Pour une fois, avoir une bonne note en sport… Maintenant que j’en avais les moyens et les opportunités et que personne ne venait me courir sur le haricot au sujet de mon poids ou de mes prétendues incapacités.

Arrive l’épreuve notée du cross. Je m’en sors plutôt bien, dans les 30 premièr·es si je ne me trompe pas. Panier plein. Youpi. Je ne savais pas trop combien de personnes participaient.
Et c’est là que le bât blesse. Une nana de ma classe en seconde se plaint à proximité des vestiaires : « ouais, je comprends pas, je suis super bonne en sport et je suis arrivée loin après le/la gros·se » (130e)… Quelle référence ! J’étais donc devenu·e un étalon pour jauger de ce qui était bon ou mauvais en sport… À moins que cette élève n'ait cru que les résultats avaient été tronqués ? Sait-on jamais…
Bref, cette fille, et d'autres, ont passé une partie de l'année à me détester, puis, heureusement pour moi, elles m’ont ignoré·e, tant mieux.

Quant aux profs de sport du collège qui m’ont tant fait souffrir, je ne sais pas ce qui était au cœur de leurs motivations. Voulaient-iels me pousser dans mes retranchements pour me forcer ? Manifestement inefficace. Au bout d'un moment, ne doit-on pas renoncer à ce qui ne marche pas ?
Croyaient-iels franchement que c’était de la fainéantise alors que j’avais tous les certificats médicaux du monde à leur mettre sous les yeux ? Iels savaient lire...
Voulaient-iels un exemple pour celleux qui n'étaient pas tout à fait à mon (mauvais) niveau et les mettre en garde ? (« Regardez ce que c'est d'être gros·se, êtes-vous sûr·es de vouloir devenir comme lui/elle ? » J’ai vraiment entendu un truc approchant cela, un jour. Cela fait plaisir, non ? Je l’avais à l’époque rapporté à mon/ma prof d’anglais si je ne m’abuse car iel voyait les larmes au bord de mes yeux, alors que nous passions par notre sortie secrète, celle qui m’évitait de me faire cogner au moins une fois par jour.)

Je ne sais pas trop quelle version retenir, je ne sais pas ce qui se passait dans l’esprit de ces profs de sport. En tout cas, à vivre, je puis vous assurer que ce n’est pas sympa du tout. Comment est-il possible de maltraiter un·e élève de la sorte ? Et de s’en gausser ?

À cause d'elleux, j'ai failli ne jamais avoir de muscles, j’ai failli ne pas devenir la personne que je suis.
J’ai failli mourir. De honte. De désespoir. Tout court. Avant mes 16 ans.

Il m’en a fallu, de la niaque, pour les supprimer de mes pensées : mais iels n’ont pas pu m’oublier complètement, ces deux-là, car les performances de nos groupes en haltéro étaient régulièrement rapportées par la presse locale…

Quoique… l’haltérophilie, c’est peut-être un sport de gros·ses à leurs yeux ?