Joomla 3.2 Template by Justhost Complaints

 

La menace du stéréotype

Écrit par : Ségolène Roy 

Parmi les obstacles les plus insidieux et les plus invisibles à l'égalité en milieu scolaire, on compte la « menace du stéréotype ». Ce phénomène aussi inconscient qu'efficace est particulièrement dommageable aux personnes discriminées, visées par des stéréotypes négatifs.

 

Les stéréotypes ne sont pas des idées reçues sans conséquences. Les généralisations sur le comportement, les qualités, les aptitudes de groupes d'individus entraînent des représentations qui à leur tour génèrent, de la part des personnes qu'ils ne concernent pas, mais aussi de la part des personnes qu'ils visent, des comportements en réaction à ces stéréotypes.

Les stéréotypes ont des effets sur les enseignant·e·s. « L'effet Pygmalion », appelé également « prophétie autoréalisatrice » a été mis en évidence dans les années 1960 par Leonore Jacobson et Robert Rosenthal dans l'éducation. Il témoigne de deux choses : du fait que les stéréotypes présents dans l'esprit des professeur·e·s, y compris inconsciemment, qu'ils soient positifs ou négatifs, influencent leur comportement vis-à-vis des élèves concerné·e·s ; du fait que ces élèves, en réaction à ces croyances émanant d'une autorité qui s'illustrent dans son comportement… vont répondre en confirmant les stéréotypes, par une série de mécanismes en jeu dans l'effet Pygmalion.

Les stéréotypes ont donc des effets sur les élèves par l'intermédiaire du comportement de leurs professeur·e·s, mais aussi du fait de leur existence même. Ce qu'on appelle la « menace du stéréotype » concerne l'influence des stéréotypes sur les élèves qui en sont touché·e·s. Cet effet a été étudié notamment par Claude Steele et Joshua Aronson en 1995.

Ces situations qui génèrent ce qu'on appelle la « menace du stéréotype » sont des situations d'évaluation dont la nature, le protocole ou la manière de les présenter mettent en jeu un stéréotype. La peur de confirmer le stéréotype, à leur propres yeux ou aux yeux d'autrui, trouble les capacités de raisonnement et de concentration des élèves, entraînant des résultats moins bons qu'en l'absence de menace… ce qui confirme le stéréotype. 

 

 

L'étude de Steele et Aronson

On a l'habitude d'expliquer les différences de résultats scolaires entre « blanc·he·s » et « noir·e·s » aux États-Unis par le désavantage socio-économique, la ségrégation et la discrimination qui touchent les Afro-Américain·e·s, dans la mesure où ils nuisent à leur cursus scolaire et à leur préparation aux épreuves. Cependant, les chercheurs ont constaté que ces différences persistaient même quand les étudiant·e·s « noir·e·s » avaient suivi un haut niveau de préparation à une épreuve : leurs résultats restaient inférieurs à ceux des étudiant·e·s « blanc·he·s ». 

Claude Steele et Joshua Aronson ont émis l'hypothèse que cette différence viendrait de l'existence de stéréotypes négatifs sur les Afro-Américain·e·s, qui leur attribuent une intelligence inférieure à cette des « blanc·he·s ». Dans le cadre de leur étude, ils ont fait passer une épreuve de compétences verbales à différents groupes. À un groupe elle était présentée comme une tâche de résolution de problème, à un autre comme un test d'intelligence, ce qui mettait en jeu le stéréotype. Dans le second cas, en situation de « menace », les résultats des élèves afro-américain·e·s ont été moins bons que dans le premier, tandis que ceux des « blanc·he·s » étaient similaires dans les deux cas.

 

 

Les femmes et les mathématiques

Une étude de 1999 (Steven Spencer, Diane Quinn, Claude Steele) a été menée auprès d'étudiant·e·s de mathématiques de haut niveau de l'université de Stanford. On leur a fait passer une série de tests. À un groupe on a dit que les résultats du test avaient montré précédemment des différences entre hommes et femmes, à l'autre que ce n'était pas le cas. Les femmes ont moins bien réussi que les hommes dans le groupe où le stéréotype était évoqué.

En France, on a demandé à des élèves de collège de reproduire la figure complexe de Rey-Osterrieth (étude de Pascal Huguet et Isabelle Régner). À un groupe on a annoncé un test de géométrie, à l'autre un jeu de mémoire. Les résultats ont été similaires chez les filles et les garçons dans le cas où le test était présenté comme un jeu de mémoire et les élèves bons en mathématiques n’ont pas obtenu de meilleurs résultats que ceux qui avaient habituellement de mauvais résultats en maths. Les filles ont moins bien réussi quand il était présenté comme un test de géométrie, intitulé qui mettait en jeu le stéréotype selon lequel les filles seraient moins douées que les garçons en mathématiques. Ce test a été davantage réussi par les élèves ayant eu de bons résultats dans cette matière la même année.

 Figure de Rey-Osterrieth

 

Autres champs où se vérifie la menace du stéréotype 

L'effet de la menace du stéréotype a été étudié dans de nombreuses situations. On a ainsi mesuré une incidence sur la réussite scolaire des étudiant·e·s de bas statut socio-économique (qui seraient moins doué·e·s pour les études) ou sur les performances des demandeurs d'emploi (suspecté·e·s de fainéantise, d'incompétence et de profiter du système), des femmes qui passent le permis de conduire (le stéréotype voulant qu'elles conduisent mal), ou encore des personnes en situation de handicap (qui seraient définies par un « manque ») devant un test de raisonnement, quand on les place en situation « menaçante ».

Les « habituels représentants de la norme » peuvent également être touchés, comme les hommes quand on leur fait passer un test de catégorisation de mots en fonction de leur lien avec le domaine affectif (le stéréotype selon lequel ils géreraient moins bien les relations affectives que les femmes est alors en jeu), ou les hommes « blancs » en mathématiques quand on leur fait passer un test visant à comprendre le pourquoi de la supériorité (supposée) des Asiatiques dans ce domaine.

On a démontré également l'influence des stéréotypes raciaux sur les performances sportives : une épreuve de golf présentée comme une mesure d'aptitude stratégique donne des résultats moins bons de la part des « noirs » qu'en condition « contrôle » (non menaçante), tandis que ce sont les « blancs » qui présentent des performances moins bonnes quand l'épreuve est présentée comme une mesure d'aptitude physique naturelle.

 

Comment fonctionne la menace du stéréotype

 

Dé-individuation

L'existence d'un stéréotype, quand il peut s'appliquer à une situation, entraîne une « dé-individuation » : les élèves concerné·e·s n'existent plus en tant qu'individus aux capacités et aux qualités spécifiques, mais en tant que représentant·e·s du groupe touché par le stéréotype, ce qui le rend menaçant.

 

Perturbation des fonctions cognitives

La peur de confirmer ce stéréotype peut entraîner la perturbation des fonctions cognitives et modifier le comportement.

La menace a un effet anxiogène qui : 

— empêche les élèves de prendre en compte toutes les informations à disposition ;

— détourne leur attention en les faisant focaliser sur des inquiétudes extérieures à l'épreuve ;

— les met mal à l'aise ;

— les rend excessivement prudent·e·s ;

— prend de la mémoire de travail ;

— augmente le temps passé sur l'épreuve.

Elle entraîne alors des résultats moindres que quand la situation n'est pas « menaçante », résultats qui paraissent confirmer le stéréotype.

 

Désinvestissement de l'élève

Que ce soit au travers de l'effet Pygmalion ou de la menace du stéréotype, les élève touché·e·s par un stéréotype peuvent désinvestir le domaine concerné, puisque tout semble confirmer qu'elles et ils ne sont pas « fait·e·s » pour ça. C'est particulièrement dommageable quand ce domaine n'est pas spécifique mais que le stéréotype touche à l'intelligence en général : c'est alors la quasi-totalité de la scolarité qui est désinvestie.

Il est important de noter qu'il n'est pas nécessaire d'adhérer au stéréotype pour en ressentir la menace et réagir en fonction, et que les élèves s'attribuent la responsabilité de l'échec, ce qui renforce le stéréotype.

 

Comment amoindrir la menace du stéréotype

Limiter les effets de la menace du stéréotype, c'est s'efforcer de rendre la situation non menaçante en rassurant les élèves sur leurs capacités et en les informant de ce phénomène. Pour ce faire, les professeur·e·s peuvent :

— placer les élèves dans des situations non évaluatives. Dans le milieu scolaire, la réponse la plus évidente est d'éviter les situations d'évaluation. Cette solution s'avère délicate dans un système prônant la sélection et défendant une forme d'élitisme. Cependant la pression évaluative a pour effet d'augmenter l'anxiété, la conscience de soi, la surprudence, les pensées interférentes, tout cela ayant des conséquences sur le comportement et les fonctions cognitives ; 

— présenter l'épreuve de manière à ne pas mettre en jeu un stéréotype ;

— réinstaurer l'individuation des élèves : les renvoyer à leur personnalité spécifique, les encourager à se voir comme des identités multiples, à plusieurs facettes ;

— encourager les élèves à valoriser leurs qualités, leurs compétences, leurs rôles, à les considérer comme importants ;

— mettre en avant des attentes fortes tout en assurant aux élèves qu'ils et elles ont la capacité d'y répondre ;

— offrir des modèles positifs auxquels les élèves faisant partie des catégories discriminées peuvent s'identifier, en faisant référence à des figures de femmes scientifiques ou de personnes racisées qui se sont illustrées dans le monde du savoir, ou en les mettant en scène lors des activités ;

— insister sur le caractère malléable de l'intelligence, qui est le résultat d'un exercice (cela s'explique par la plasticité cérébrale, qui est le remodelage permanent des connexions neuronales dans le cerveau) et dont les formes sont multiples ;

— mettre l'accent sur l'identité acquise (le fait de pratiquer tel loisir ou de faire preuve de telle qualité en particulier plutôt que d'être fille, garçon, blanc·he ou non) ;

— informer sur l'effet de la menace du stéréotype : « si vous ressentez de l'anxiété face à ce test, ça peut être dû aux stéréotypes que la société véhicule, et qui n'ont rien à voir avec vos capacités propres. »

 

Pour aller plus loin

 

 Michel Désert, Jean-Claude Croizet et Jacques-Philippe Leyens, « La menace du stéréotype : une interaction entre situation et identité », L'Année psychologique, n° 102-3, 2002, p. 555-576. Consulté le 20 juin 2015.

 Steven Stroessner, Catherine Good et Lauren Webster, Reducing stereotype threat (Réduire la menace du stéréotype), en anglais. Consulté le 22 juin 2015.