Joomla 3.2 Template by Justhost Complaints

>> Lire la partie précédente : I- Distinguer le sexe du genre

II- La construction du genre : la plasticité cérébrale

Nombre d’enseignant·e·s auront observé dans leur classe certaines de ces différences présentées comme stéréotypées : par exemple, les garçons représentent la majorité des élèves les plus turbulents, ils sont plus nombreux à souffrir d’échec scolaire. Les filles choisissent plus les filières littéraires et médico-sociales que les garçons, et sont plus dociles vis-à-vis des apprentissages… Serait-ce à dire que, puisque ces stéréotypes s’observent, qu’ils sont intrinsèquement liés au sexe, que leur cause est biologique ?

1/ Des cerveaux sexués à l'origine des différences de genre ?

Des tentatives d'explication – ou de justification – des différences entre filles et garçons font régulièrement intervenir la neurobiologie, et cherchent à trouver dans d'éventuelles différences structurelles du cerveau les causes de différences comportementales et cognitives entre filles et garçons.

Sur ce point, un premier élément à souligner est le fait que, à l'heure actuelle, jamais aucune étude n'a permis de mettre en évidence une quelconque relation de cause à effet entre des différences comportementales et cognitives entre filles et garçons, et d'éventuelles différences structurelles du cerveau. Il ne s’agit bien sûr pas de nier des différences : des différences moyennes entre le cerveau des femmes et celui des hommes existent (ne serait-ce par exemple que la taille : en moyenne, le cerveau des hommes est plus gros que celui des femmes, du fait d'une taille générale moyenne supérieure pour les hommes que pour les femmes). Mais aucun lien de cause à effet n'a été scientifiquement et rigoureusement mis en évidence sur d'éventuelles conséquences en termes de compétence ou de traits de caractères particuliers. Et ce n’est pourtant pas faute de les avoir cherchées. Il est d'ailleurs à noter que si des différences s'observent entre cerveaux de femmes et d'hommes, elles s'observent en moyenne, et que leur amplitude est très faible comparativement à la variabilité qu'on observe entre individus d'un même groupe. Il n'existe ainsi pas « un cerveau de femme » et « un cerveau d'homme ». Et, dit autrement, on ne peut, en observant un cerveau, savoir s'il s'agit de celui d'un homme ou d'une femme.

Pourtant toutes et tous auront déjà fait l'expérience d'avoir été confronté·e·s à l'un des très nombreux grands médias ayant fait ses gros titres d'une prétendue découverte sur l'origine cérébrale des différences (en termes d’aptitudes, d’intérêts, de psychologie…) entre femmes et hommes. Mais en étudiant rigoureusement les articles scientifiques dont ils sont issus, on s'aperçoit soit que les articles grand public sont basés sur une interprétation partielle voire fausse de l'article de départ, soit que l'étude scientifique elle-même souffre de grosses lacunes méthodologiques ou d'erreurs d'interprétation qui en discréditent les résultats et les conclusions.

Ce précieux travail de retour aux sources et d'analyse critique a été entrepris par Odile Fillod, et mis en ligne sur son site Internet Allodoxia.

Deux de ses études notamment, particulièrement approfondies, permettent de comprendre dans le détail à la fois les raisons qui expliquent qu'on retrouve aussi régulièrement ces thèses développées dans les médias grand public (« Les sciences et la nature sexuée du psychisme au tournant du XXIe siècle. Genre, sexualité et société », automne 2014 http://gss.revues.org/3205), et comment, à partir d'étude pseudo-scientifique, des travaux prétendument scientifiques parviennent à ces prétendues découvertes (« Le connectome et la circulation circulaire des stéréotypes de genre », 22 février 2014).

2/ Un genre qui s'acquiert et s'inscrit dans le cerveau

Les connaissances actuelles concernant la plasticité cérébrale et la manière dont les connexions neuronales se font et se défont dans le cerveau en fonction de l'environnement permettent d’identifier un lien de cause à effet entre les connexions nerveuses cérébrales et les différences comportementales et cognitives observées en moyenne entre les deux sexes.

En effet, par des mécanismes variés, le cerveau a la capacité de se remodeler tout au long de la vie : c'est la plasticité cérébrale (au programme de 1re S pour ses conséquences en termes cognitifs, et en terminale S pour son aspect moteur).

Par exemple, si on compare les zones du cortex d’une personne violoniste (ci-dessous, à gauche) et d’une personne ne jouant pas d’instrument (à droite), on se rend compte que les zones corticales allouées à l’auriculaire et au pouce sont bien plus importantes chez la ou le violoniste. Cette observation est également très connue pour les non-voyant·e·s, qui ont développé d’autres zones sensorielles (toucher, audition), ou pour le mécanisme biologique de la mémoire et des réflexes pavloviens.

Mais il est fondamental de noter que ce n’est pas parce que la ou le violoniste possède ces zones surdimensionnées par rapport à la moyenne qu’il ou elle est violoniste. C’est au contraire le fait de travailler son violon qui a développé ces zones dans son cerveau. Cette évolution est d’ailleurs modifiable, et donc réversible, de manière très rapide. Une expérience chez le jeune chat, confirmée chez l’humain, consistant à réaliser l’occlusion d’un œil, a montré que, très rapidement après l’occlusion, on pouvait observer que la colonne corticale correspondant à l’œil qui n’est plus sollicité diminuait au profit de la colonne mitoyenne.

Ainsi, du fait de sa neuroplasticité, le cerveau se construit en fonction des stimulations. Or les caractères stéréotypés sont de fait transmis par la famille, les médias, la religion, la société, l’école, et acquis très tôt par les enfants. Ils le sont par exemple par les interactions parentales. Il est ainsi montré que nous ne nous comportons pas du tout de la même manière et que nous n’avons pas les mêmes attentes envers un garçon et une fille, et ce dès leur plus jeune âge. Une expérience avait ainsi été réalisée dans laquelle il avait été demandé à des parents ce qu’ils pensaient de leur bébé 24h après la naissance. Leur réponse était stéréotypée : les garçons étaient quasi systématiquement décrits comme grands, éveillés, aux traits marqués, tandis que les filles étaient décrites comme petites, belles, mignonnes, gentilles, aux traits fins, significativement plus distraites que les garçons. Par ailleurs il a été observé que les nouveau-nés garçons sont pris de manière plus énergique que les filles, le ton des voix pour parler aux nouveau-nés n’est pas le même selon qu’ils soient garçons ou filles. Les vêtements pour enfants sont bien plus amples et confortables pour les garçons et contraignants pour les filles. Ou encore, les contes pour enfants mettent en scène très souvent des garçons en situation active, à l’extérieur, et les filles en situation passive, à l’intérieur, etc.

Finalement, c'est toute la société (média, famille, école…) qui traite de manière différente garçons et filles. Ce conditionnement peut entraîner par conséquent un développement différent du cerveau des garçons et des filles et donc une différenciation de comportement. Un garçon et une fille, n’étant pas traités de la même manière, ne se comporteront pas de la même manière.

Il est important de garder en vue :

– qu'il ne faut alors pas confondre ce qui relève des causes et des conséquences : c'est le traitement différent des filles et des garçons dans la société qui entraîne la mise en place de connexions cérébrales différentes et non l'inverse ;

– qu'en aucun cas il ne s'agit d'un dimorphisme sexuel strict puisque cet environnement est variable, son impact sur les individus aussi, et que si des tendances s'observent de manière générale entre garçons et filles, il s'agit encore une fois d‘une moyenne. L'amplitude des différences observées entre filles et garçons est très faible comparativement à ce qu'on observe entre les garçons entre eux ou les filles entres elles. C'est justement en généralisant et en prenant ses différences moyennes pour des différences générales et systématiques que naissent les stéréotypes et leurs conséquences.

Ainsi, il est possible de parvenir à deux conclusions :

– les différences de genre qu’on peut observer entre hommes et femmes peuvent reposer sur des différences de connexions neuronales (différence biologiques donc), mais il ne faut pas confondre causes et conséquences : il s'agit de différences construites par l'environnement et non de différences innées. En tout cas de nombreuses études de sciences sociales ont montré ce lien, mais aucune étude n’a jamais démontré le lien contraire.

– par ailleurs, et cela souligne la responsabilité qu'ont les enseignant·e·s à être attentifs et attentives à ne pas reproduire les stéréotypes de genre, et à se servir des connaissances à transmettre pour déconstruire les stéréotypes transmis au sein de la société : cette même plasticité cérébrale qui a permis de construire ces différences permet, en des temps très courts, de les annuler grâce à l’apprentissage. La responsabilité de l’école, lieu d’apprentissages, est d’autant plus importante que si elle contribue à créer ces différences, qu’elle a aussi les moyens de les réduire.